Ligne Maginot - Support technique et organisationnel apporté par la Marine Nationale aux Régions Fortifiées



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Support technique et organisationnel apporté par la Marine Nationale aux Régions Fortifiées






La Marine a apporté une aide importante entre 1934 et 1938 au ministère de la Guerre, et au Génie en particulier, lors de la construction et de la prise en main des ouvrages des régions fortifiées. Ce point, bien que mentionné ici ou là, n'a que peu été traité alors qu'il a joué un rôle non négligeable, qui va bien au-delà d'un simple prêt de main-d'oeuvre.



L'origine de la collaboration


C'est pourtant bien sous la simple forme d'un prêt ponctuel de main-d'oeuvre pour suppléer le manque de spécialistes électromécaniciens du Génie qu'un petit nombre d'officiers mariniers sont détachés dans la Régions Fortifiée de Metz (RFM) et celle de la Lauter (RFL) en février et Septembre 1934. Les 7 ingénieurs spécialistes électriciens et mécaniciens dont il s'agit vont donner une assistance technique à la maitrise d'oeuvre de chantier ( Directions et chefferies des travaux de fortification ) lors de la construction puis l'installation des usines électrogènes d'un certain nombre d'ouvrages. En effet, les groupes électrogènes installés dans les ouvrages sont en fait des modèles apparentés à ceux qui sont dans les navires de la Marine, et pour lesquels elle a développé une large compétence.




Accélération de l'implication de la Marine


Suite à une visite du vice-amiral DRUJON - Membre du Conseil Supérieur de la Marine et Président du Comité Technique de la Marine - dans des ouvrages du Nord-Est celui-ci fait un certain nombre de remarques techniques et organisationnelles très pertinentes à l' Etat-Major de l'Armée (EMA) qui poussent celui-ci à entrevoir le bénéfice qu'il pourrait tirer d'un échange plus systématique.

Il faut constater que par ailleurs l'EMA est très positivement impressionné par l'aide apportée par les premiers ingénieurs détachés au travers des commentaires qui remontent des régions fortifiées. Le Gal GAMELIN reprend donc contact avec la Marine à la demande de la direction du Génie en Juin 1935 pour tester si ce ministère serait favorable à envisager une collaboration plus approfondie.

La demande est somme toute logique dans la mesure où le nombre d'ouvrages et d'installations mises à disposition par les DTF aux futures troupes de forteresse s'accélère dans toutes les régions, que les chantiers d'installation d'équipements battent leur plein, et que les personnels spécialisés manquants sont à former.

Bien qu'étant elle-même sous pression du fait de l'accélération de son programme d'armement, la Marine consent au détachement pour une période limitée - allant de 6 mois à deux ans selon le cas - de deux officiers supérieurs, un huitième ingénieur, de trois officiers des équipages et de 30 officiers mariniers techniques (premiers ou second maîtres - équivalents de sous-officiers de l'armée de terre).

La mission de ce détachement est double :


  • Faire bénéficier rapidement les Régions Fortifiées de l'expérience et des méthodes de la Marine en ce qui concerne l'organisation d'un ouvrage possédant des armes, un équipage, une usine électrique et des moyens de défense passive similaires à ceux d'un navire.

  • Contribuer à la formation du personnel technique spécialisé nécessaire à l'armement des ouvrages, et de pallier temporairement le manque de celui-ci


  • Les deux Capitaines de Corvette volontaires (CC OLLIVIER et BOURGEOIS - grade équivalent à celui de Commandant dans l'armée) sont respectivement affectés chacun à l'état-major de la RFM et de la RFL à partir du 15 Aout 1935, avec rang d'adjoint au général commandant la Région Fortifiée. Outre leur rôle de conseiller technique auprès du commandement, ils supervisent directement le personnel de Marine détaché et distribué dans les chefferies des régions :

    - RFM - CC OLLIVIER : 4 ingénieurs mécaniciens (support technique et formation), 2 officiers des équipages (formation des sous-officiers du Génie), 18 officiers mariniers (2 électriciens et 16 mécaniciens).
    - RFL - CC BOURGEOIS : 2 ingénieurs, 1 officier des équipages et 12 officiers mariniers (1 électricien et 11 mécaniciens)
    - Alpes : 2 ingénieurs mécaniciens

    L'accord Guerre-Marine de 1935 inclut par ailleurs la possibilité d'intégrer des officiers de l'armée comme stagiaires dans les écoles techniques de la Marine, ou à bord de navires en opération.




    Période de travail en commun dans les Régions Fortifiées


    L'essentiel du personnel détaché de la Marine arrive entre le 15 Aout et fin Septembre 1935. Cette arrivée ne se passe pas dans les meilleures conditions du fait de la pénurie de logement dans des casernements en pleine construction et dont les logements de cadres mariés ont fait les frais de reports de dépenses…

    Outre le travail de formation du personnel du Génie et d'aide à la mise au point des usines d'ouvrages, la période est marquée aussi par un important travail de réflexion sur les modes de fonctionnement des ouvrages. Le fait marquant sous ce chapitre est le rapport du CC BOURGEOIS sur l'exercice d'occupation sous régime de temps de guerre complet de l'ouvrage du SCHIESSECK, advenu peu de temps avant sont départ, du 15 au 17 Janvier 1936.

    BOURGEOIS assiste en observateur à cet exercice et fait part de ses "étonnements" dans un rapport à l'état-major de la RFL et de la 20° Région Militaire :


  • Absence de clarté des lignes de commandement et du rôle du commandant d'ouvrage

  • Manque de réalisme de la définition de l'effectif de temps de guerre de l'ouvrage, dont le sureffectif notoire entraine une grande oisiveté de nombre d'hommes de troupes gênant par voie de conséquence le fonctionnement de l'ouvrage.

  • Discipline, hygiène et propreté qui serait inacceptable sur un navire et qui pose problème dans une enceinte confinée comme un ouvrage. Cette absence du niveau attendu de discipline n'est pas lié à la qualité de la troupe, mais au fait que l'encadrement est noyé dans les inefficacités liées au manque de clarté des règles de fonctionnement.

  • Organisation matérielle déficiente : manque de places couchées, matériel déficient, pas d'alimentation en eau, cuisine inachevée nécessitant une roulante à l'entrée avec tout le mouvement de va et vient qu'on peut imaginer, pas de matériel de nettoyage, etc...

  • Manque de coordination et d'ordre des déplacements de l'équipage dans l'ouvrage.

  • Insuffisance et inadéquation du document de règlement sur le service des ouvrages datant d'Octobre 1935


  • Le rapport propose un certain nombre de pistes de réflexion issues de l'expérience de la Marine qui pour l'essentiel seront adaptées par l'Armée : notion de major d'ouvrage, rôle et responsabilité du commandant, importance de l'ordre, la propreté et les conditions de vie sur le moral, importance "d'occuper" l'équipage pour détourner son attention des événements extérieurs qu'il ne peut voir, utilisation de hamacs (plus hygiéniques, compacts et personnels et permettant de libérer rapidement de la place) au lieu de lits, numérotage des rôles et positions dans l'organisation , etc...

    Conscient depuis un moment des manques dans le domaine organisationnel, l'EMA avait créé peu de temps plus tôt, début Janvier, un groupe de travail présidé par le général HUBERT - commandant de la RF de Metz -, la "Commission de Rédaction de Règlements sur le service dans les Ouvrages", avec pour mission de définir le mode d'organisation, les rôles et responsabilités du commandement, et les méthodes de fonctionnement internes. Autant dire que le rapport BOURGEOIS arrive à point nommé, avant même la première réunion dudit groupe de travail HUBERT. Ce rapport en main, l'EMA enjoint le général HUBERT d'accélérer le démarrage des travaux de la commission et demande le report de deux mois du retour à la Marine du CC OLLIVIER dont les idées vont alimenter la commission en contrepoint du rapport de son collègue.

    Ces principes de la Marine Nationale seront en fin de compte largement repris dans le travail de la Commission HUBERT qui produira l' "Instruction provisoire sur le service dans les ouvrages des secteurs fortifiés (1° Partie - temps de guerre)" d'Octobre 1937. Chose particulièrement notable, l'introduction de ce document écrite par la ministre DALADIER sur le concept d' "esprit d'ouvrage" reprend presque textuellement des passages entiers du rapport BOURGEOIS...

    Les CC BOURGEOIS et OLLIVIER retournent à la Marine respectivement en Février et Avril 1936. Leur retour est accompagné de nombreux témoignages élogieux du haut-commandement de l'Armée et des régions concernées, qui leur permettra d'être promus rapidement.

    Les ingénieurs de la Marine de la 1ère vague sont retournés à leur arme entre Septembre et Octobre 1936, et les officiers mariniers restent sur place dans les régions fortifiées jusqu'en Aout 1937. A l'été 1936 l'Armée, s'inquiétant du départ de ces ressources qui ont su se rendre indispensables, demande à ce que les ingénieurs rapatriés ou à rapatrier dans leurs affectations de la Marine puissent être tout ou partie remplacés par de nouveaux éléments "prêtés" par la Marine. La Marine n'accepte que partiellement, étant elle-même maintenant en sous-effectif technique. Elle consent à laisser pour deux ans supplémentaires deux ingénieurs mécaniciens parmi les 8 préexistants et d'ajouter 4 officiers électriciens et mécaniciens des équipages. Ceux-ci, bien que basés l'un en RFM et l'autre en RFL, partagent en réalité leur temps sur toute la fortification, y compris les Alpes...




    Bilan


    L'impact de la Marine sur la maturation technique et organisationnelle de la fortification nouvelle est donc important.

    La formation des spécialistes électromécaniciens du Génie doit beaucoup à l'expertise des techniciens et ingénieurs, ainsi que des écoles techniques de la Marine.

    L'impact va cependant plus loin qu'un simple transfert de compétences. Les analogies entre le mode de fonctionnement d'un navire de guerre et un ouvrage de fortification sont suffisamment nombreuses pour que la forteresse puisse s'inspirer (et appliquer la plupart du temps) les bonnes pratiques organisationnelles, de vie en promiscuité et de management comportemental de la Marine. La transposition de ces bonnes pratiques alimentera un grand nombre de règlements et notices de la forteresse.

    Ceci sera particulièrement visible lors de la guerre et des combats de 1940 : arrivé au niveau d'isolement qu'ils connurent après le repli des troupes d'intervalle le 13 Juin 1940, un ouvrage au combat n'est finalement pas différent d'un croiseur ou d'un cuirassé au combat.




    Rédaction : Jean-Michel Jolas - 15/10/2018 - © wikimaginot.eu



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